L’apparence est un plat qui se mange cru

fable_apparence01Il était une fois un lion, beau, fort et riche, qui adorait se montrer au monde comme la plus heureuse des créatures. Il régnait sur sa vie avec confiance et sa prospérité lui assurait le respect de tous. Les gens se comportaient d’ailleurs comme ses sujets, ce qui renforçait l’image honorable qu’il avait de lui-même.

Il ne paraissait jamais en public sans être certain de faire bonne impression. Ainsi aimait-il particulièrement se montrer avec sa femme. C’était en effet une très jolie souris avec qui il était marié depuis peu, et dont le charme sexy ne manquait pas de valoriser son statut de lion puissant.

Apparemment, les jeunes époux vivaient dans le bonheur conjugal. Pourtant, ces derniers temps, la souris s’absentait souvent. Elle disait qu’elle allait rendre visite à sa grand-mère malade. La vieille femme vivait seule dans une maison du centre-ville et, à part sa petite fille la souris, elle n’avait personne pour s’occuper d’elle.

Au début, le lion laissa faire son épouse. Il avait confiance et il compatissait à la peine de cette parente malade. Mais le nombre de visites augmentant et la longueur des absences s’accroissant, il finit par avoir des soupçons.

Il observa donc la souris avec plus d’attention. Et plus il l’observait, moins il la croyait. Il remarqua en effet qu’elle n’avait jamais l’air chagrinée au sujet de sa grand-mère, après l’avoir vue. Au contraire, elle rentrait toujours de très bonne humeur. Le lion décida de la surveiller de plus près.

Un jour, il la suivit en cachette. Il vit qu’effectivement, sa femme se rendait dans une maison du centre-ville. Mais lorsqu’il se renseigna au sujet du locataire, il apprit que la maison n’était pas habitée par une grand-mère, mais par un loup. Le lion comprit enfin la vérité : sa souris avait un amant.

fable_apparence02Cette nouvelle lui brisa le cœur, certes, mais ce fut surtout son orgueil qui fut blessé. Lui, le roi des animaux, il était humilié. La honte qu’il ressentit le poussa à se cacher. Il n’osa plus se montrer en public de peur de paraître ridicule, comme si l’offense qu’il subissait dans sa vie privée le recouvrait d’une apparence que les autres pouvaient voir et dont ils se moqueraient.

Cependant, il était trop fier pour rester cacher bien longtemps. Sa dignité bafouée exigeait réparation. Incapable de supporter l’affront de la souris, il décida de se venger. Un soir où sa femme restait à la maison, il partit au centre-ville pour s’expliquer avec le loup.

Il ne voulait pas attirer l’attention. Alors, il se déplaça dans les ombres du crépuscule et s’approcha de la maison de son rival sans être vu. Pourtant, une fois devant la porte, il ne put se contenir. Il frappa trois coups avec force, en rugissant :

– Ouvre-moi, je suis le lion !

Après un instant de silence, une voix fluette lui répondit :

– Entre ! La porte est ouverte.

Le lion s’exécuta et il pénétra dans le logis.

L’unique pièce était plongée dans l’obscurité. À part un grand lit qui trônait au centre et un miroir accroché au mur, on ne distinguait rien. Mais en s’approchant du lit, le lion remarqua la forme d’un corps, couché sous les draps. Il y regarda de plus près et découvrit une grand-mère malade qui l’accueillait.

– Tu es le mari de ma petite-fille la souris, dit la vieille dame. Quelle surprise de te voir ici !

– Mais grand-mère, répondit le lion en la dévisageant, comme votre barbe est fournie ! Et votre dentier si grand ! Que vous est-il arrivé ?

– C’est la maladie, dit faiblement le loup qui se savait reconnu malgré son déguisement.

– La maladie qui tue ? rugit le lion en colère.

Puis, n’y tenant plus, il déclama son accusation et sa sentence, en grondant sourdement :

– Tu es l’amant de ma souris et je vais te manger tout cru pour me venger !

En effet, le lion ne fit du loup qu’une bouchée.

fable_apparence03Malgré son repas, le lion ne se sentait pas entièrement satisfait. Son honneur n’était sauf qu’à moitié. S’il voulait retourner au monde, fier et respecté, il devait laver l’affront qui lui avait été fait, dans son intégralité. Il lui fallait donc aussi punir la souris.

Pour cela, il décida de rester dans la maison du loup et d’attendre que sa femme vienne rejoindre son amant. Il prit les vêtements de ce dernier, se déguisa en grand-mère et glissa entre les draps du lit où les traîtres l’avaient trompé.

Il n’eut pas à attendre longtemps. Le lendemain matin, il entendit cogner trois coups discrets à la porte. Il reconnut aussi la jolie voix qui disait :

– Ouvre-moi, je suis la souris !

Après un instant de silence, il répondit d’une voix ferme :

– Entre ! La porte est ouverte.

La souris entra et, s’approchant du lit, elle fut surprise d’être accueillie par une grand-mère malade.

– Tu es ma petite-fille la souris, dit la vieille dame. Quelle surprise de te voir ici !

– Mais, grand-mère, répondit la souris tremblante, car elle reconnaissait son mari le lion malgré son déguisement, comme tu as changé ! Ta barbe a poussé et ton dentier est devenu impressionnant !

– C’est l’amour ! rugit l’autre, blême de rage.

– L’amour qui tue ? bredouilla la souris qui se savait perdue.

N’y tenant plus, le lion déclama son accusation et sa sentence, en grondant sourdement :

– Tu es la maîtresse du loup et je vais te manger toute crue pour me venger !

En effet, le lion ne fit de la souris qu’une bouchée.

fable_apparence04Après son second repas, le lion se sentait satisfait et complètement rassasié. Il avait éliminé ceux qui l’avaient trahi. Son honneur était sauf. Il pouvait retourner sans honte dans le monde et y reprendre sa place de roi des animaux.

Pourtant, lorsqu’il déambula dans les rues, il nota que ses sujets le regardaient différemment. Dans leurs yeux, il ne lisait plus rien de l’admiration qu’ils avaient coutume de lui montrer. Bien au contraire, ils exprimaient maintenant de l’ironie, du mépris, voire de la dérision. Au lieu de le saluer respectueusement, les gens le montraient du doigt en chuchotant.

Le lion se demanda si les crimes qu’il venait de commettre ne se remarquaient pas, s’il n’avait pas, malgré lui, l’apparence d’un coupable que tout le monde pouvait voir. Mais ce n’était pas ça que les gens regardaient. Il réalisa que l’apparent succès de ses représailles lui avait fait oublier de quitter son déguisement. Il se promenait en ville, habillé comme une grand-mère.

La honte et la rage l’étouffèrent d’un seul coup. Pour ne pas mourir de la première ni exploser de la seconde, il devait se cacher à tout prix. Alors, il fit volte-face et il se précipita vers la maison du centre-ville, celle-là même qui avait servi aux amants pour l’humilier. La porte était ouverte, il entra sans frapper.

Il voulait disparaître au plus vite sous les draps mais, en passant devant le miroir fixé au mur de la chambre, il aperçut le reflet de la grand-mère malade qui le regardait.

– Tu es le mari trompé, semblait lui dire la vieille dame. Quelle surprise de te revoir ici !

– Mais, grand-mère, répondit le lion aveuglé par la colère, quelle affreuse barbe tu as ! Et quel dentier exubérant !

– C’est le ridicule ! s’écria l’autre qui ne se reconnaissait plus.

– Le ridicule qui tue ? se demanda-t-il à lui-même.

Alors n’y tenant plus, il déclama son accusation et sa sentence, en grondant sourdement :

– Tu es la cause de mes malheurs et je vais te manger tout cru pour me venger !

En effet, la grand-mère ne fit du lion qu’une bouchée.

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Cette fable entre dans le cadre de l’Agenda ironique d’août, sur les contes fantastiques, organisé par JoBougon.

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27 réflexions sur “L’apparence est un plat qui se mange cru

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  3. Une histoire d’amour cannibale. Quand on s’entend dire je t’aime, on ne sait pas vraiment à quelle sauce on va être mangé.je trouve le choix des photos qui illustrent le conte très amusant (souvenir d’Italie ?)

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    • Les statues de lions n°1, 3, 5 sont en Espagne, la n°2 à Florence et la n°4 à Arles. Les lions, comme la jalousie, sont représentés dans tous les pays.

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  5. Wouah ! Une souris qui épouse un lion, qui n’a pas peur d’un loup, qui se fait manger non pas par le loup mais bel et bien par son époux, et tout ce petit monde doublé d’une grand-mère barbe bleue ! Je n’en reviens pas.
    Je cours ventre à terre éditer le lien sur concours, avant que grand-mère n’ait fini de digérer… Que de rebondissements en tous genres !
    L’aventure devient rien moins qu’épique, quelle équipe !

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