Le temps de voir

Dans les salles du musée, les visiteurs passent leur temps à regarder. D’une paroi à l’autre, d’un coin aux galeries, du rez-de-chaussée aux étages, ils suivent le parcours hétéroclite des œuvres d’art qui sont exposées.

Les objets représentent les différentes visions que les artistes ont eues de l’homme et de son entourage, au cours du temps. D’ailleurs, elles sont classées par ordre chronologique, et on pourrait dire que c’est le temps lui-même que l’on essaie ici de mettre en forme et en image.

Chacun visite le musée à sa façon et l’attitude des gens face aux œuvres est variée. Il y a toutefois deux types de visiteurs bien particuliers : celui qui prend son temps et celui qui ne veut pas le perdre.

Le premier est avisé.

Il observe les œuvres avec attention, apprécie l’effet visuel, étudie les détails, l’interprète de mille façons… Ça le met dans un état de réflexion proche de la méditation. Les pièces qu’il choisit d’admirer le font rêver, alors qu’il les a sous les yeux.

Peu importe si, à ce rythme, il n’a pas le temps de voir tout ce qui est exposé dans le musée. Pour lui, chaque instant dure une éternité.

Le second est affairé.

Il passe de salles en salles, transite d’une œuvre à l’autre, ne s’arrête que le temps nécessaire pour braquer son appareil photo, viser et déclencher… Il emmagasine ainsi rapidement des copies de tous les objets qu’il voit. Il se dit qu’il pourra les admirer plus tard.

Peu importe si, à ce rythme, il n’a pas le temps d’apprécier ce qui est exposé dans le musée. Sa mémoire est pleine d’instantanés.

Des deux types, lequel profite mieux de son temps ? Si on leur demande comment s’est passée la visite, le second pourra dire tout ce qui se trouve dans le musée, les images qu’il a prises étant plus précises que les souvenirs du premier. Mais s’il s’agit de dire comment étaient les œuvres, le premier aura sûrement plus de choses à raconter, car il les a bien regardées.

Tout dépend de comment on voit le temps. Immatériel, il est abondant ; on en a autant qu’on veut, sans avoir à le compter. Par contre, si on cherche à le figer, si on tente de l’accumuler, il prend une valeur matérielle. Il devient solide et son poids le rend difficile à retenir. Il nous échappe ; on commence à le perdre.

Voilà ce qui arrive à vouloir gagner du temps dans un musée.

tempsvoir


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Célébrités

11 réflexions sur “Le temps de voir

  1. Je pensais que les photos étaient interdites dans la majorité des cas, non ? Je suis fan, c’est bête à dire, mais des musées d’art contemporain. Les autres, j’en ai fait mon lot et la base de mes connaissances, plus jeune. L’avantage du contemporain est que la présentation est souvent thématique et non chronologique (ça, c’est ennuyeux comme la pluie, c’est le cas du musée d’art moderne à Paris, ou des expos temporaires, qui peuvent être sympas même chronologiques). Prenons le musée Picasso toujours à Paris : la nouvelle présentation est totalement accrocheuse et je n’ai pas vu qu’on y prenait des photos tellement la mise en scène est attirante et belle. Mais je suis autant fan de la prise de photo (sauf dans les musées) qu’ailleurs. Votre question mérite donc réflexion car c’est notre attitude face à ce qu’on voit qui pose question effectivement. Beau sujet de réflexion…

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  2. Très juste analyse. Il n’y a rien de plus fatigant qu’une visite de musée qu’on voudrait complète. Il est bon de flâner et de se laisser captiver par une oeuvre en particulier, un peu comme dans la vie.

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  3. Il y a aussi le nouveau visiteur, celui qui se prend en selfie avec l’œuvre en lui tournant le dos. Pour celui qui photographie tout sans vraiment regarder, ne serait ce pas une forme de consumérisme ? S’accaparer l’œuvre, que l’on ne regardera pas forcément plus tard, parce qu’il y en aura d’autres à photographier ? Simplement pour se dire, j’y étais, je l’ai vu, je l’ai mis dans la boite. Maintenant, je passe à autre chose ? Or, le souvenir que vous laisse une œuvre n’est elle pas plus importante que l’œuvre en elle-même ?
    Excellent article.

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      • J’ai été témoin d’un tel comportement : une jeune femme, fin vingtaine, début trentaine, s’y est prise trois fois, en moins de cinq minutes, pour bien se poser, en ajustant son angle de vue, le port de sa tête, le dos tourné au Penseur de Rodin, afin de prendre son égoportrait, au Musée des beaux-arts de Montréal. Puis, elle est partie, sans même regarder l’œuvre elle-même. Très distrayant…

        J’ai passé plus de quatre heures, presque cinq, à étudier attentivement les quelque 300 pièces présentées à cette exposition unique sur l’atelier de Rodin, et j’ai accéléré vers la fin, parce que je devenais de plus en plus épuisé physiquement, et essoufflé intellectuellement — (https://www.mbam.qc.ca/expositions/a-laffiche/rodin-metamorphoses/).

        Contrairement à l’habitude et bien qu’on avait droit de prendre des photos, je n’en ai pas pris une lors de cette exposition — http://fernancarriere.com/2015/01/24/visites-au-musee/ .

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      • Je vois en effet, d’après votre lien, que vous aimez vous a-musée. 4 heures de visite, c’est un peu beaucoup tout de même. A Londres, les musées nationaux sont gratuits, ce qui permet d’espacer les visites.

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  4. Difficile de prendre son temps devant Mona Lisa… ça pousse derrière ! C’est le problème avec les stars : on les mitraille faute de pouvoir passer du temps avec elles… ta description du visiteur vrai amateur vs l’autre, c’est tout à fait ça !

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