Une jeune réplique de Boy George entre dans le café. Encombré par des sacs de shopping de marque, il se fraie un passage entre les clients, pour arriver à la table d’à côté, où l’attendent deux types en costume. Il se laisse tomber sur la chaise libre. Dans le mouvement, son manteau noir s’étale en corolle autour de ses énormes baskets blanches. Il s’ouvre sur les pétales d’une chemise fuchsia, plantée dans un jogging vert qui lui tombe des fesses. On dirait qu’une fleur vient d’éclore sous mes yeux.
– Bonjour John, dit l’homme au costume trop ajusté.
John marmonne bonjour, sans lever les yeux. Il est absorbé dans la contemplation de ses ongles, effilés comme des épines rouges.
– John, tu sais pourquoi on t’a fait venir ici aujourd’hui, insiste l’autre.
Le jeune homme passe une main manucurée dans sa longue chevelure noire aux torsades compliquées, qui me rappellent le chanteur androgyne des années 80. Quant au maquillage, il a beau être aussi prononcé que celui de la pop star, il ne parvient pas à dissimuler la barbe naissante sur son visage.
– Tu réalises l’importance de ta décision, n’est-ce pas ? reprend l’homme engoncé. C’est un investissement et, si tu t’y engages, tu dois assumer les conséquences…
Boy John fait battre ses faux cils en soupirant, tandis que le second homme sort de la poche de son costume trop large un portable, pour consulter ses messages.
– Ça veut dire qu’il faut travailler, continue le premier, et se discipliner ! Tous les jours de la semaine, tu dois te lever, et la nuit, c’est pour dormir… Tu sais qu’ils sont stricts là-bas. Tu ne peux pas manquer…
– Je sais, coupe John d’un air ennuyé.
– Alors promets-moi que tu y seras demain matin à huit heures.
Le jeune homme se tasse sur sa chaise. Sous mes yeux, la fleur s’est fanée.
– C’est une école prestigieuse. Ça t’ouvrira beaucoup de portes… Une carrière en or. C’est bien ça que tu veux ? Être modèle ? Ou couturier ? Enfin, un de ces métiers à la mode…
Une moue dubitative gonfle les joues grises du garçon.
– En fait, je ne suis pas sûr…
À ces mots, l’homme en costume maigre quitte son portable et dit avec autorité :
– Écoute ! Ta mère paye très cher pour tes études. En plus, elle nous engage pour que tu travailles. Alors, tu ferais bien de changer d’attitude.
– Nous, on est là pour t’aider. Tu peux nous faire confiance. Allez, demain, huit heures ? Promis ?
Mais Boy John pense à autre chose. Sous les cils en balayette, son regard glisse sur ses grosses baskets, ses sacs de marques, les enseignes par la fenêtre, des magazines épars sur le comptoir… Et puis sur les gens qui circulent dans le café : un Asiatique blond, une Africaine aux cheveux lisses, des mèches bleues, rouges ou vertes sur les Européennes… Tant de variété. Il est décontenancé. Ce monde à la mode offre trop de pistes. Comment choisir la bonne ?
John cherche un modèle à qui se raccrocher, un exemple à suivre, pour devenir ce qu’il veut vraiment être. Je ne cesse de l’observer ; j’appréhende le moment où ses yeux se poseront sur moi.
Ceci vous a plu ? Essayez cela :
A la fois le décor, le personnage et les pensées palpables dans le dialogue, les attitudes. Bien vu et bien écrit. bravo
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À l’heure de votre commentaire, je ne sais pas si John est arrivé à son rendez-vous. Je prends donc vos louanges pour moi seul. Merci.
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Vous écrivez avec une caméra ou tout comme, pris sur le vif, avec acuité !
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Oui, jusqu’aux poils de barbe qui ne m’échappent pas… J’espère toutefois que cette vision détaillée des choses ne me fait pas manquer l’essentiel.
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Du tout, bien au contraire, c’est souvent les détails qui révèlent l’essentiel.
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Tranche de vie et suspense des destinées qu’on croise et dont on ne connait pas la fin, un vrai roman que la vie…
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A lire avec avidité.
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