Élégante

GAL_elegante– Comme la mode a changé cette année ! Ce n’est pas mon style du tout. Tu crois que je vais trouver quelque chose qui va m’aller ? J’avais plein d’idées de shopping aujourd’hui mais, maintenant qu’on est là, je ne sais plus par où commencer. J’hésite… Et puis d’abord, je change quoi ? Le haut ou le bas ? Ou bien les deux ?

La fille gesticule en parlant, comme à son habitude, alors que nous avançons dans le forum commercial. Les gens s’écartent sur notre passage, pour ne pas recevoir un coup de coude ou se brûler à la braise de la cigarette que ma compagne agite autour d’elle. Quant à moi, je l’écoute à peine, plus concerné par l’ambiance alentour que par son incessant monologue.

– Ça va te paraître idiot, Pierre, mais quand je vois une vitrine avec des robes comme ça, je craque… ça me fait rêver… je m’imagine avec tous ces atours et je me dis que j’aurais un succès fou.

Dans les vitrines, les mannequins sont habillés à la dernière mode. Ils s’exposent au public, dans une attitude qui évoque des marionnettes s’essayant à la pantomime. Leurs postures dynamiques contrastent avec leur immobilité. On les dirait figés dans le temps, stylisés dans un présent en vogue. Même s’ils savent que, tôt ou tard, leur apparence devra changer, ça ne les inquiète pas. Ils appréhendent l’avenir sans bouger.

En revanche, de l’autre côté de la vitrine, la fille volubile ne cesse de tournicoter. Elle passe d’une boutique à l’autre pour regarder, comparer et commenter les différents articles de mode. Elle se demande ce qu’elle va bien pouvoir porter pour rester dans le vent. Elle ne se résigne pas au changement, elle tient absolument à y participer, sans prendre de retard. L’avenir de son apparence la préoccupe à tel point qu’elle est prise d’anxiété.

– Allons, aide-moi à choisir ! La robe jaune ou la jupe verte ? Dis-moi laquelle tu préfères ! Oh, et puis non ! C’est mieux si tu ne dis rien. Je ne veux pas que tu m’influences…

Si les mannequins ont l’air décontractés, c’est parce qu’ils ne craignent pas les transformations de leur image. Ils savent qu’à chaque renouvellement de collection, des mains expertes viendront s’occuper d’eux. Par contre, les clients s’inquiètent de savoir ce qu’ils doivent porter car ils ont l’entière responsabilité de leur image. Ils obéissent aux nouvelles tendances, qui leur dictent comment ne pas tomber dans les disgracieuses allures du passé.

Plus impitoyable que l’âge, la mode marque le passage du temps sur notre apparence. Et si la vieillesse est un phénomène naturel dont nous sommes victimes, il nous incombe de maintenir notre image au goût du jour. On pardonne plus facilement d’être vieux que d’avoir l’air démodé.

– C’est vrai qu’à tes côtés, tout semble différent. Les formes et les couleurs que j’aime habituellement, je ne les reconnais plus… C’est drôle, j’ai tellement envie de savoir ce que tu en penses, je voudrais tant partager ton opinion… En fait, je suis une grande romantique. Je suis prête à tout pour aimer tes goûts, jusqu’à abandonner les miens.

La fille est convaincue que, pour plaire, il faut qu’elle soit belle. Soigner son apparence est une priorité car elle valorise sa personne selon des normes esthétiques dictées par la mode. Or, la mode change avec le temps et, si elle veut plaire longtemps, il faudra qu’elle prenne soin de son image, en permanence.

Ce despotisme de l’aspect physique lui fait oublier qu’on est plus que les formes qu’on montre. Quand le look prime la personnalité, on finit par confondre les deux. On se voit comme dans un tableau dont le cadre serait si beau, si soigné, qu’on lui accorderait plus d’importance qu’au portrait à l’intérieur.

– Tu sais, Pierre, faire tous ces efforts pour te plaire… Ça ne me gêne pas, au contraire. J’en tire avantage aussi. Je sais que si tu me trouves belle, tu voudras m’avoir à tes côtés plus souvent. Ce qui compte c’est qu’avec toi, j’ai envie d’être jolie.

Je regarde les mannequins féminins qui font face à la fille. Ils sont tous plus jolis qu’elle. Leurs traits harmonieux, bien proportionnés, ont beau être vides d’expression, ils sont beaucoup moins disgracieux que ses mimiques tourmentées. Leurs poses stylisées aussi me paraissent plus désirables que son agitation.

À choisir, je préférerais partager leur cage de verre, et rester pétrifié dans la beauté du moment, plutôt que d’avoir à me démener dans un présent dont le déroulement est continuellement ballotté par cette femme excitée. Pourtant, encore une fois, elle sait trouver les arguments qui me forcent à bouger avec elle.

– Tiens, voilà la lingerie… Oh, comme elles sont mignonnes ces culottes ! La petite rouge, avec les dentelles, là, tu la vois ? Tu sais, Pierre, tu as décidé de ne pas venir chez moi ce soir. Et bien, je trouve que tu es trop raisonnable. Moi, quand je pense à toi, je n’ai pas envie d’être raisonnable… Alors que dirais-tu d’une petite folie, si j’achetais cette culotte-là ?


Extrait du roman
GAL_cover

La 4ème de couverture

Les extraits

Le livre

8 réflexions sur “Élégante

  1. « Ho là la vie en rose, la vie qu’on nous propose, d’avoir des quantités de choses, dérision de nous, dérisoire ! … et de l’avoir plein nos armoires « , Alain Souchon ! Et terriblement vécu ce dialogue de sourd ?

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