Anamorphose

GAL_anamorphoseDeux petites vieilles sont assises sur un banc, dans le parc, et lorsque nous passons devant elles, l’une demande à l’autre :

– Regarde, le couple là-bas. Quel joli portrait ils font, tu ne trouves pas ?

– Oui, c’est vrai, répond l’autre. Le petit chien est ravissant.

– Il est aussi beau que sa maîtresse.

Je me retourne pour m’assurer qu’elles ne parlent pas de nous, sinon d’une jeune femme avec un nœud rose dans les cheveux, qui promène une petite boule de chien poilu au bout d’une laisse. L’animal porte autour du cou un ruban de la même couleur rose. La différence de race ne les empêche pas d’aller très bien ensemble, en effet.

Nous nous engageons sur une allée ombragée. Mon amie a le pied hésitant, l’équilibre ballant, elle me suit plus qu’elle ne m’accompagne. La chaleur pèse sans doute sur ses jambes mais, en m’arrêtant pour l’attendre, je distingue ses paroles et il devient clair que ce qui l’empêche vraiment d’avancer, ce sont les histoires qu’elle ressasse.

– J’ai besoin de confiance, moi, de sécurité, d’un mec honnête qui s’investit… Pas comme l’autre, le salaud qui s’est débiné… il ne perd rien pour attendre celui-là ! Il verra bien comment je la referai ma vie, toute seule s’il le faut… ou avec un autre mec, si j’en trouve un qui vaille le coup. Ça lui fera une bonne leçon !

Il faut se méfier des sentiments qui naissent d’un trop-plein de rancœur. Aigris par la désillusion, ils ont tendance à devenir malhonnêtes. Le discours de la fille révèle des intentions biaisées. Ce qui l’attire vers moi ne me dit plus rien de bon. En revanche, ce qui m’attire vers elle reste inchangé. Pendant qu’elle déblatère, je n’ai d’yeux que pour son short et chemisier blancs sous lesquels déborde sa chair.

– En fait, tu tombes bien, Pierre. J’avais grandement besoin d’un homme dans ma vie. Ça change tout quand on a quelqu’un, tu ne trouves pas ? Ça redonne confiance. On vit le moment présent, on rêve d’avenir… on oublie le passé plus facilement. Je me sens bien avec toi… C’est pour ça que j’aimerais qu’on s’aime… vraiment.

Notre couple ressemble à la femme et son chien : les intérêts qui nous réunissent sont de race différente mais ça ne nous empêche pas d’aller ensemble. Peu importe si nos désirs divergent, il me suffit de céder aux siens pour qu’elle satisfasse les miens. Nous sommes attachés à la même laisse. J’entraîne ainsi ma maîtresse dans la promenade, en quête de ses caresses.

– On pourrait aller dans les buissons, dis-je en la tirant par le bras.

– Ah bon ? Pourquoi tu dis ça ? Qu’est-ce qu’on y ferait, dans les buissons ?

– Et bien, on verrait des animaux….

En lui glissant mon idée à l’oreille, ma main lui passe au creux des reins. Elle sursaute.

– Dis donc, tu ne chercherais pas à profiter de moi, par hasard ? Tu crois que je ne vois pas venir ton petit jeu ?

– Je pense juste qu’on serait plus à l’aise dans les buissons pour poursuivre la conversation. C’est tout, je t’assure.

Elle s’arrête et me regarde attentivement. Elle déchiffre l’expression de mon visage, souhaitant y lire la confiance et l’honnêteté, y voir une image conforme à ses rêves de mec qui vaille le coup ; malheureusement elle y découvre aussi un autre aspect : l’animal. Ça la fait hésiter. Alors, la serrant d’un peu plus près, je prends le ton de la confidence :

– Moi, toute cette nature, ça me donne fort envie d’aimer.

Si le romantisme était une hormone, il serait phéromone. La fille rougit dans ses habits blancs. Puis, elle cède à la pression de mon bras et se laisse emmener dans les buissons. Après tout, elle aime les animaux aussi. Et parmi ceux qui sont dans le parc, ne suis-je pas le plus monstrueux ?


Extrait du roman
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La 4ème de couverture

Les extraits

Le livre

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