Les amateurs de la culture des formes sont nombreux. On trouve ici tous les échantillons de la population. Sans considération d’âge, de sexe ou de classe sociale, les corps en petite tenue se mélangent dans les salles du gymnase. Je circule parmi la foule des sportifs, un peu perdu et plus anonyme que jamais.
Des hommes s’en vont rouler les muscles au coin des mécaniques, tandis que des femmes sautillent au cardio-rythme de la musique. Quelques vieillards avancent lentement dans les couloirs, à la recherche des bains d’eau chaude qui font oublier la fatigue et les douleurs, et des bandes d’adolescents se décomplexent en comparant la rigidité de leurs membres virils. Il y a aussi des couples, reconnaissables à la fière allure du monsieur qui ouvre la marche. Les jolies formes de sa compagne lui inspirent des sentiments qui oscillent entre l’admiration et la propriété.
Qu’ils se connaissent ou non, tous les sportifs semblent s’être déjà vus. Un air de connivence circule entre eux, donnant l’impression que chaque membre qu’on croise sait à qui il a affaire. Pourtant presque personne ne se parle. Ici, surtout, on se regarde. À cet effet, tous les murs sont équipés de miroirs. On s’y reflète, parfois sans s’en apercevoir, et souvent on ne sait plus si la personne d’à côté est la copie ou l’original. Ça n’a d’ailleurs aucune importance. En effet, un simple coup d’œil suffit pour comprendre qu’au gymnase, ceux qui se fréquentent n’ont des rapports qu’en apparence.
Entre les miroirs, sur les pans de murs libres, des affiches publicitaires vantent les formes athlétiques de corps presque nus. Ils représentent les archétypes de la beauté physique, celle que les hommes veulent avoir et celle que les femmes veulent être. Quoique, pour un sexe comme pour l’autre, le résultat soit vraisemblablement hors de portée, tout le monde ici cherche à façonner sa silhouette en s’acharnant aux exercices, selon les exigences des modèles qui sont proposés.
En somme, au social comme au physique, l’important est de savoir garder les formes. Puisque, de tous les modes de communication, c’est le langage du corps qu’on entend le mieux, il faut être beau si l’on veut briller en société. Avoir une image discrète, c’est comme souffrir de grande timidité : ça n’attire que les laiderons ; les autres ont peine à vous remarquer.
Garder l’anonymat ne m’est d’aucune utilité dans le domaine public. Au contraire, si je veux trouver mon idéale dans le monde, je dois absolument devenir populaire. Alors, pour qu’on m’admire, à qui dois-je ressembler ? Je regarde quelques posters et, choisissant parmi les athlètes une paire de biceps bien ronds, des épaules carrées et un torse en V, je commence mon entraînement.
Pour la sculpture corporelle, les sportifs utilisent de nombreux appareils, qui sont comme des extensions de leurs membres : des poids au bout des mains, des barres métalliques contre les bras, des ceintures autour de la taille, des pédales ou des tapis roulant sous les pieds… Ces accessoires de plastique et de métal s’ajustent à chaque partie du corps, si bien que les gens finissent par ressembler à des machines. Les individus les mieux costumés sont ceux qui se dépensent le plus. Il semble que la technologie ait éloigné l’homme de ses origines naturelles : il doit maintenant faire usage de prothèses pour se rappeler qu’il a un corps en chair et en os.
Par exemple, ce type, dont le reflet s’entraîne à mes côtés : il s’est emprisonné dans un appareil si complexe que je peine à identifier les bras des jambes et la tête du postérieur. Il tire avec effort sur des poulies, pour faire le grand écart, et puis, d’un coup brusque, il relâche la tension des poids qu’il a au bout des pieds. Avec un bruit métallique, ses cuisses se referment, comme une porte de prison.
À regarder ainsi le spectacle de ces membres incarcérés, je suis pris d’une envie de m’échapper. Mais ça ne dure que le temps de trois ou quatre mouvements. En effet, les bourrelets qui roulent sous le maillot serré du sportif me sont familiers. Et lorsque je distingue mon visage rougi par l’effort, derrière les barreaux de la machine, je reconnais mon geôlier.
Nous on cultive l’échouage sur plage. Très difficile. Il faut d’abord s’enduire de crème pour protéger notre jolie peau. Ensuite, étaler la serviette de plage, orienter le parasol en vue du moment où le soleil sera trop brûlant, sortir les liseuses ou les mots croisés, et nous allonger gracieusement sur les serviettes.
Ouf! Après ça, nous sommes déjà un peu crevés!
Bonne soirée,
Mo
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De vrais pros de la remise en forme. Bravo!
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Eh bien, en ce qui me concerne, je n’ai pas encore franchi la porte du sanctuaire qui me garantirait l’éternelle séduction……… et l’horloge tourne……….. il faudrait me hâter s’il y a quelque chose à sauver 😀 Je n’ai pas non plus la sagesse de Dominique et n’ai conséquemment pas trouvé comment maintenir un semblant des vestiges du passé……….. J’utilise la méthode Coué, peu eficace côté muscles mais pas déplaisante pour le moi psychique 😀
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Une dizaine de Coués aux abdominaux, une quinzaine aux biceps, et le tour est joué.
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euhhhhh si je relisais ce serait mieux !!! deux f à efficace, c’est plus…… efficace 😉
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Et puis la symmétrie aussi, c’est impportant dans la culture physsique.
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😉
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Bonjour!
Voilà pourquoi je préfère faire du sport en regardant les arbres et en sentant la fraîcheur du vent :-).
Merci pour ce texte qui est un plaisir à lire et une incitation à mettre le nez dehors.
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La nature est sans aucun doute un miroir plus humain que les glaces d’un club de gym.
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Rester jeune, rester beau (à ce propos la beauté c’est la jeunesse, mais d’autres en ont une autre approche toute personnelle, ceux-là s’en rendront compte en temps voulu) ce dikdat qui fait souffrir le corps qui n’est plus fait pour ces instruments de torture, instruments de torture qui le blessent plus qu’ils ne servent de fontaine de Jouvence, bref : le sport de plein air, la marche à pied, le trot -parce que courir je n’aime pas- une alimentation saine et le rire, sont parmi les vitamines naturelles celles que j’ai choisi pour ne pas vieillir trop idiote. Là ! 😉
Ton texte m’a beaucoup amusée, et j’imagine parfaitement le film du spectacle que tu décris.
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Merci, Dominique, pour tes conseils beauté-jeunesse-santé. On ferait mieux de les suivre au naturel, plutôt que d’esquinter une image de soi complètement artificielle.
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