D’un côté de l’allée, à l’orée du sous-bois, un groupe de jeunes joue de la musique et danse sur la pelouse. Les filles portent des robes transparentes et on distingue leurs corps en mouvement qui ondulent dans le contre-jour. Ce spectacle inspire les garçons ; ils s’activent sur leurs instruments avec un enthousiasme sauvage. L’échange entre les danseuses et les musiciens est chargé d’un érotisme jovial. Je claque des doigts, en rythme avec l’excitation juvénile, comme si la différence d’âge n’existait pas.
De l’autre côté de l’allée, dans un square, ce sont des couples avec enfants qui sont rassemblés. Les parents discutent, assis sur les bancs, tandis que la marmaille s’amuse en criant sur le terrain de jeux. L’ambiance entre les gens paraît calme. Pourtant les parents ne sont pas entièrement à leur conversation. D’un œil vigilent, ils surveillent leur progéniture agitée, prêts à intervenir en cas d’incident. Je n’ai jamais eu d’enfant, mais l’inquiétude parentale me rappelle que j’ai l’âge d’être papa.
– Pierre, tu n’as jamais voulu d’enfants ? demande ma compagne en allumant une cigarette.
– Euh… disons que je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’en avoir.
Elle éclate de rire.
– Et d’après toi, c’est quoi avoir l’occasion ?
– C’est… être avec la femme idéale, bien sûr.
– Ah, la femme idéale ! Et tu ne l’as pas encore trouvée ? À ton âge ?
– Et bien, disons que le choix est limité. Parmi les femmes de mon âge qui sont disponibles pour une relation, il y a deux types prédominants : celle qui a déjà un enfant et celle qui n’en a pas encore. La première ne veut pas forcément reconstituer une famille… quoiqu’il y ait toujours celles qui cherchent un type pour remplacer celui qu’elles ont perdu…
– C’est de moi que tu parles ?
– La seconde, en revanche, veut désespérément trouver l’homme qui sera assez sérieux et stable pour fonder une famille, avant qu’il ne soit trop tard.
– C’est vrai qu’en arrivant sur la quarantaine, les femmes font le bilan. Et quand elles comptent toutes leurs amies qui ont déjà des enfants, alors qu’elles, elles restent seules, sans pouvoir devenir maman, c’est déprimant. Ça leur tord le ventre, cette idée, ça leur fait mal aux ovaires… Chaque fois qu’elles ont leurs règles, elles en veulent à la nature entière pour leur rappeler qu’elles ne sont pas encore mères.
Après une profonde bouffée, elle reprend gravement :
– Pour une femme, ne pas avoir d’enfants, c’est le drame de sa vie, car ça signifie n’avoir personne. Pour un homme, c’est totalement différent : pour lui, ne pas avoir d’enfants signifie avoir plus de femmes.
– Ce n’est pas pour ça qu’on n’en veut pas, dis-je sur la défensive. Un enfant, c’est aussi beaucoup de responsabilités… et des sacrifices… l’énergie qu’il faut dépenser, le temps à lui consacrer… C’est plutôt ça qui fait reculer les hommes.
– Un enfant, c’est pour toute la vie. Un enfant, tu le gardes toujours dans ton cœur. Ce n’est pas comme un homme. C’est même le contraire, car le plus dur avec un homme, ce n’est pas de l’avoir, mais de le garder.
– Moi, je trouve que c’est absurde de faire un enfant, si on sait que le monde où il vivra va mal. Il n’est pas juste de donner la vie quand on sait d’avance qu’elle sera pourrie.
– Et moi, je crois que ça vaut toujours la peine de naître dans ce monde, même s’il est pourri ! s’exclame-t-elle en se levant brusquement. C’est la loi de la nature ! Il faut se reproduire, et poursuivre cette chaîne qui nous unit les uns aux autres.
– On peut quand même choisir, non ?
– Si tu choisis de ne pas en avoir, sermonne-t-elle, alors tu ne sais pas ce que tu perds. C’est d’ailleurs un don divin de ne pas pouvoir imaginer par avance comment c’est bien d’avoir un enfant, car sinon on deviendrait fou à l’idée de ne pas en avoir.
Elle jette sa cigarette au sol, l’écrase du bout du pied et, avec défi, elle ajoute :
– Et puis, si tu n’as pas d’enfants, qui s’occupera de toi quand tu seras vieux ?
Suis-je anormale? Je n’ai jamais eu envie de faire des enfants. Mais je pense que ce n’est pas une bonne idée de se forcer dans ces cas-là.
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La notion de normalité est très variable à ce sujet-là. En tous cas, se forcer pour en avoir, ça, ce n’est pas très normal.
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… et les parents savent avec le temps, que par la force de la vie et du temps limité, ils seront seuls même s’ils ont des enfants ! Alors il vaut mieux avoir sa moitié d’orange avec soi ! 😉
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aaah, mais ça, c’est après en avoir eu.
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la dernière réplique est révélatrice !
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Ça en dit long, en effet.
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