Mon image

En regardant mon image dans le miroir, je vois combien elle est fragile.

Je croyais qu’elle m’appartenait, que j’en disposais comme je voulais, que je l’arrangeais, la mettais en valeur et l’utilisais selon mes besoins… Mais tout ceci n’est qu’illusion. La réalité est que mon image ne m’appartient pas, pas à moi plus qu’à quiconque. Elle est du domaine public. Chacun en dispose comme il veut. Je peux la perdre ou me la faire voler, au gré des gens que je rencontre. On peut aussi me l’abîmer.

Entre le regard des autres et le mien, mon image s’accommode tant bien que mal. Eux, ils me voient comme ils veulent bien, même si ça ne correspond pas à comment je me vois moi-même, ni à ce que je désire montrer. Naturellement, je souhaite me présenter à mon avantage, afficher une image qui m’arrange. Mais les autres aussi, à leur façon, veulent voir une image de moi qui les arrange, qui confirme ce qu’ils pensent déjà. Nos points de vue ne coïncident pas toujours. Ils peuvent même entrer en contradiction. Tout dépend de la subjectivité du regard qu’on se porte.

Parmi mes relations sur Internet, chacune me voit à sa façon. C’est d’autant plus facile de m’imaginer que personne ne m’a jamais vu physiquement. Deux semaines de correspondance auront suffi pour m’attribuer des rôles très différents. Je suis un confident pour Mia, qui me raconte ses fantasmes. Un partenaire pour Ana, avec qui elle joue à l’écriture. Un complice pour Eva, qui me tient au courant de ses aventures amoureuses. Et un compagnon pour Léa, qui désire combler ses carences affectives. Aucune de ces images ne correspond à celle que je voulais originellement donner à mon avatar : un homme à la recherche de son idéale.

Dans la réalité, c’est pareil : chacun me voit comme ça lui chante. Précieux collaborateur pour les collègues, ami attitré pour les autres, amant de la voisine de palier… Ils se font tous une idée de moi qui satisfait à leurs besoins. Mon image remplit la place qu’ils veulent bien lui donner. Ils lui attribuent un rôle qui justifie le sens de leur propre existence. Comme dans un puzzle où les pièces s’emboîtent les unes avec les autres, on vit en société en prenant la forme qui convient à l’entourage.

Je suis enfermé dans la salle d’eau depuis dix bonnes minutes. Penché au-dessus du lavabo, je m’asperge abondamment le visage d’eau froide. Je tiens à laver les images qu’on projette sur moi. Mais à quoi bon ? De l’autre côté de la porte, on m’attend. Dès que je sortirai, on voudra me parler, me proposer, me convaincre… Bref, m’affubler d’idées. Avec eux, je ne sais jamais à quoi je vais ressembler. Je me sèche et, après un coup d’œil peu convaincu au miroir, je retourne jouer la mascarade.


Extrait du roman
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La 4ème de couverture

Les extraits

Le livre

8 réflexions sur “Mon image

  1. Telle est en effet la question : peut-on se (se)connaitre soi-même ? C’est toujours au travers de l’autre ou du miroir (de ses humeurs) comme vous dites qu’on peut capter l’image de soi que l’on aime ou pas. Bref, mystérieuse est la réalité de l’être humain…

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    • Ce décalage entre image et réalité déstabilise effectivement le protagoniste, tout au long du roman. La personnalité des gens a de multiples facettes. Non seulement leur image varie en fonction de leurs humeurs ou des circonstances où ils se trouvent, mais aussi on les perçoit de manière tellement subjective que, si on devait les décrire, c’est à peine s’ils se reconnaîtraient…

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