Un violent courant d’air froid accueillit Blaise sur le trottoir, une accolade glaciale qui l’embrassa avant même qu’il n’eût pu faire un pas. Il aurait bien aimé capter l’énergie matinale, se mettre au diapason du jour renaissant, mais ses espoirs étaient vains. Il faisait trop froid ce matin-là pour apprécier l’air du temps.
Autour de lui, les gens se pressaient. Ils bougeaient vite et leurs mouvements, qui devaient bien les réchauffer un peu, incitèrent Blaise à les suivre, pour faire de l’exercice. Peu lui importait de ne pas connaître leur destination. « On est toujours seul à savoir où on va. » pensait-il en regardant ses pas qui l’emmenaient derrière les autres. Il fut content de sa décision car, soudain, le courant d’air glacial disparut autour de lui. Cela n’avait rien à voir avec le sport ; c’était une bouche de métro qui l’avalait d’un trait.
Happé par le trou noir des escaliers, grignoté entre les dents métalliques des tourniquets, Blaise fut dégluti dans les entrailles de la terre. « Il fait plus chaud ici, remarqua-t-il à mesure qu’il descendait, comme si le métro se nourrissait des calories des usagers. » Ravi de sa découverte, il décida de profiter de la chaleur humaine autant qu’il le pouvait. Il se laissa digérer vers le fond sans résister.
Les gens s’écoulaient dans les couloirs, les vidant et les remplissant selon la loi physique des tubes communicants. Engloutis et siphonnés, ils se déversaient sur le quai, pourvoyant au remplissage de la prochaine rame. Lorsque Blaise y arriva, il était en eau.
Certes, les teints fondants des décolorées et les aisselles mouillées des chauves permettaient à Blaise de distinguer les mâles des femelles qui l’entouraient. Pourtant, l’amalgame rendait impossible de savoir qui, de l’homme ou de la femme, se positionnerait derrière lui au moment de pénétrer dans le wagon. « Qu’est-ce que ça change ? Dans la queue, on est incognito. On peut bien se faire monter comme on veut. » Déjà, Blaise s’imaginait pressé contre ses semblables et cette idée n’était pas sans lui procurer une certaine émotion.
Pourtant, une fois dans le compartiment, il nota immédiatement la froideur qui divisait les gens. Deux communautés s’étaient formées : les Assis et les Debouts. Entre eux, une subtile rivalité régnait, emprunte de dédain pour les uns et d’envie pour les autres. Ils avaient beau voyager ensemble, ils s’ignoraient ouvertement, évitant de croiser leurs regards tout en se surveillant du coin des yeux. « Même proches, on garde la distance. » constatait Blaise avec une amertume qui lui faisait froid dans le dos.
Parmi les Debouts, où il était vigoureusement secoué, il s’efforçait de rester droit, en observant une impassibilité et un sérieux absolus. « Ici, les convenances sont soumises à un équilibre précaire. Pourtant, le sens de la politesse est plus fort. Il agit comme une force d’inertie sur les bonnes manières. » En effet, il arriva à la station sans avoir touché personne.
Une fois la rame immobilisée, Blaise décida de quitter cette chaleur illusoire. Il voulut retrouver l’air matinal qui, bien que frais, lui semblait plus naturel. Il se fraya un chemin au travers des portes du wagon, bousculant ses voisins au passage, au risque d’être mal vu, et se dirigea vers la sortie.
Au pied de l’escalator, le besoin d’air libre se fit pressant ; Blaise se jeta dans l’escalier mécanique. Les marches étaient hautes mais il grimpait énergiquement. « Je dois sortir au plus vite ! » Un regard en arrière lui apprit qu’il n’était pas le seul avec cette intention : une meute de gens pressés le poursuivait dans l’escalade. Il se hâta d’atteindre le sommet et déboucha du trou noir, tout essoufflé.
La lumière du jour était aveuglante et l’impression d’espace étourdissante. Il tituba au hasard et, bien qu’il ne désirât plus suivre personne à ce moment-là, ses pas l’emmenèrent droit contre un passant. « Mais regardez donc où vous allez ! Vous n’êtes pas tout seul ! » lui cria le bousculé. Blaise s’excusa en haletant : « On est toujours seul à savoir où on va. »
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Bonjour.
J’aime bien les errements de Blaise, qu’il soit sous l’eau ou sous terre.
Les descriptions sont parfois ennuyeuses, mais ici, elles nous immergent au contraire parfaitement dans l’ambiance du monde de Blaise. Que ce soit le monde extérieur ou son monde intérieur.
Peut-être le retrouvera-t-on?
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Heureux de voir que Blaise se soit fait une amie. Dès que je le croise dans ses errances, je vous avertis.
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Merci, un signe sera le bienvenu mais tout compte fait, je pense opter pour l’abonnement. Ainsi, je ne manquerai ni Blaise ni le reste.
Donc: au plaisir de vous lire :-).
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Mais tout le plaisir est pour moi. J’espère vous retrouver au coin des mots à venir. Merci.
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L’angoisse de la bouche de métro qui avale tous ces gens!!!!L’atmosphère y est, du coup on fait partie de la foule qui se fait dévorer et régurgiter . L’apocalypse…
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Bah! Ne vous inquiétez pas: je change de sujet à la prochaine.
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Très bonnes photos pour illustrer ce bain bullant dans la foule, ses sensations et même ses odeurs ! On y est, même assise à ma table…
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J’espère que le voyage en valait la peine. Vous êtes bien arrivée quand même?
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